Soupe de langues - Lettre égarée dune jeune hippie au Burkina Faso

Soupe de langues – Episode 3 : Lettre égarée d’une jeune hippie au Burkina Faso

Fugue de week-end où tour du monde, tout voyageur qui goûte à l’international se heurte à cette insaisissable ombre de culture : la langue. Au détour de silences, discussions, quiproquos, voici une série anecdotique d’anecdotes tout droit sorties du monde périlleux de la polyglotie.

– Soupe de langues – 

Lettre égarée d’une jeune hippie niaise expatriée au Burkina Faso (trouvée sur un parcmètre)

L’ami,

Combien de jours, que dis-je, combien de semaines écoulées depuis mon dernier signe de vie ? Ah, mes belles promesses, mes jolies habitudes prises durant les premiers mois, mes longues lettre, la noble sueur de mes nuits blanches à gratter le papier pour tes beaux yeux…

Alors voilà, toutes mes excuses. Attention, n’entends pas par là un simple, tout petit,  « Pardon! » lancé à la volée, un genre de « oups! » qui fuserait d’entre mes dents, aussi vif et vite oublié qu’un malheureux coup de coude dans la foule. Celui-là, je l’aurais traduit par « Gaafare! » en mooré si je l’avais voulu.

Comprends bien, si je dis « Maan sugri », je te prie de m’excuser.

Mais déjà je m’égare ! En reprenant la plume, je voulais te parler langue ; de langues, d’une langue, des langues, de toutes les langues d’ici, toile d’araignée bien ciselée. Des langues, chez nous, plus on en parle, plus on ajoute des cordes à son arc, des bons points à son CV. Ici des langues, plus on en parle… Plus on en parle.

« Moi je suis né en Côte d’Ivoire, comme j’y ai passé mon enfance, je parle le yacouba. Bon, et bien sur, je comprends un peu le [insère les 3 langues de ton choix]. Et puis je suis rentré en famille au Burkina, depuis je parle le mooré, je comprends le dioulla, le fulfuldé, et le gourmanchéma, aussi, un peu ! L’anglais ? Un peu seulement ! », te dira-t-on, en français, le plus naturellement du monde. 7, 8 langues… On n’en fait pas une grande fierté, et d’ailleurs nul besoin d’être érudit pour cela. C’est légion, bien normal, il faut bien se comprendre ! « 81 langues ont été recensées dans le pays », dixit Wikipédia. Ça en fait, des stratagèmes, obstacles à déjouer pour se parler.

Et puis, il y a le français. Voilà précisément là où cherche à se poser mon doigt. Le français, langue nationale, parlé plus ou moins couramment, par plus ou moins tout le monde. Le français… LE français ? C’est certain ? Français, dialecte unique et invariable ? Que nenni, non le français d’ici n’est pas celui d’ailleurs. En arrivant, conquérant, dans un état réputé francophone, on s’écorche les oreilles, les premiers jours. Hautain, amusé, on note les fautes flagrantes, on se rit des conjugaisons, on rectifie les phrases… Et puis, arrive l’instant où l’on ne comprend plus… Démunis de toute arme, on te regarde avec insistance, poliment, tu bégaies innocemment, que faire, que dire ? Que devrais-je donc répondre ?
– D’ajouter ?
– Tu as fréquenté? 
– Tu ne te sens pas ?
– Veux-tu être mon correspondant ?
Perplexe, j’étais…
Dans l’ordre, on me demandait en fait :
– Si je souhaitais qu’on me resserve,
– Si j’étais allée à l’école,
– Si j’étais malade,
– Et si je voulais bien devenir parrain de son enfant.

Et c’est ici qu’il y a un choix à faire. Parmi les « nassara », les blancs expatriés, il y a deux catégories. Il y a ceux qui s’accrochent résolument à leur français conventionnel, celui des manuels, le français de la France, et il y a ceux qui se laissent contaminer par ce langage à moitié étranger, qui se rit des syntaxes, qu’est au dessus des règles. Ou plutôt non, il y a des règles, d’autres règles.

Le français, c’est pluriel, une drôle de découverte !

Colette.

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