Et si on arrêtait avec le coming-out ?

« Mais t’es homo ?! J’en étais sûre ! ». * sourire et regard complice *

Comment dire…

On a tous déjà assisté à ce genre de situation, quand on apprend qu’une connaissance ou qu’un proche est homosexuel – ou LGBTQ+ en général. On a tous aussi participé à une conversation où le sujet majeur était de savoir si, oui ou non, Raph’ était homo. Dans ces situations, il n’est pas rare que chacun y aille de son petit commentaire.

Cas n°1 : La Révélation : « – C’est trop cool pour toi franchement, bravo ! Je le savais depuis le début, ça se voit – sans vouloir te vexer ! »

Cas n°2 : L’Enquête : « J’suis sûre que Manon elle est gay. Ça fait 3 ans qu’elle est pas sortie avec un mec, ça cache quelque chose… »

Clarifions la chose. L’orientation sexuelle d’un individu n’est pas un jeu auquel on s’adonne entre amis. On ne parie pas sur l’orientation sexuelle de quelqu’un. Personne n’est gagnant à ce jeu-là, jeu qui n’a pas de raison légitime d’exister. Cette curiosité, ce « jeu » auquel on a forcément tous déjà pris part plus ou moins consciemment, n’est qu’une forme de curiosité mal placée, celle de l’être humain qui s’ennuie, et tente de projeter des états à des situations qui lui échappent. Car la sexualité échappe aux autres. Elle peut même nous échapper à nous-même, en laissant planer quelques zones d’ombres sur nos désirs plus ou moins conscients, plus ou moins avouables.

Toi qui lis cet article, tu te dis peut-être que tu n’es pas concerné. Dans ce cas là, attention au choc : nous sommes tous quelque part cet humain qui cherche à plaquer des étiquettes sur les gens, à les caser et à les castrer.

Identité ou orientation sexuelle : gare au lit de Procuste

Le mythe de Procuste illustre totalement ce besoin social de mettre les gens dans des cases, de se projeter pour combler cette part d’inconnu qui nous angoisse. Dans la mythologie grecque, Procuste est un aubergiste particulièrement psychopathe, qui coupe ou étire les membres de la personne qui dort dans son gîte, pour que son corps soit adapté aux dimensions du lit. Que rien ne dépasse, qu’il n’y ait plus d’espace vide. Comblé. Rassurons-nous – ou pas – Thésée est venu le disputer, en lui infligeant le même sort barbare qu’il faisait subir à ses hôtes.

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Toute cette histoire d’étirement et de bûcheronnage pour dire quoi ? Et bien tout simplement que ce mythe s’est immiscé dans notre culture actuelle, si bien qu’on parle désormais du « syndrome de Procuste ». Mythologica définit ce syndrome comme « une malheureuse habitude qui se repend insidieusement de nos jours[, qui] tend à vouloir tout formater sous couvert d’un prétendu rationalisme ». Quand on sait que Procuste signifie en Grec « celui qui martèle pour allonger », on comprend bien la force du martèlement exercé par cette pensée qui voudrait tout ranger dans des cases, cette pensée de la non-pensée, cette pensée qui, en se posant comme rationnelle, réduit considérablement l’essence et la diversité des choses.

Pour en revenir à l’orientation sexuelle, il semble donc que la société, et chacun d’entre nous par extension, cherche à allonger des identités pour les faire rentrer dans un cadre prédéfini, en tirant et en découpant des individualités et des sexualités pour qu’elle s’adaptent parfaitement au cadre que l’on a dessiné pour eux.
Chaque individu est alors rattaché, non plus à une individualité propre, mais à un marqueur identitaire fort qui les définit tout entier : leur identité sexuelle. Les mots ne sont pas innocents. On parle bien d’ « identité sexuelle ». La notion d’identité évoque clairement un certain fixisme, et son autorité et sa dimension arbitraire sont d’autant plus fortes quand ce n’est pas nous qui revendiquons cette identité, mais les autres qui la pensent à notre place.

Jeux et enjeux du coming-out

Comme vous en êtes probablement au fait, le coming-out est un moment de la vie d’une personne, qui, à un instant t, décide de « révéler » à ses proches que son orientation sexuelle diffère de la norme hétérosexuelle – LGBTQ+, Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Queer etc. L’expression « coming-out » signifie en anglais « révélation », reflétant alors l’image que la personne en question lève le voile sur une réalité existante, jusque là dissimulée.

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Les vidéos qui traitent de se sujet se comptent par centaines sur Youtube – rivalisant avec la fameuse « première fois ». Car faire son « coming-out » demande de la préparation, et est souvent la source de beaucoup de mal-être. Le problème du coming-out, c’est qu’il cristallise la hiérarchie entre les orientations sexuelles, notamment si on les « classe » grossièrement entre hétérosexualité et homosexualité. Déclarer pour la première fois son homosexualité, en famille, autour de la table, c’est estimer que l’on doit des explications à ses proches, que l’on se doit de justifier/normaliser son statut pour être honnête et pouvoir vivre librement. Le souci, c’est qu’en perpétuant ce protocole social, on assoit la norme hétérosexuelle, en se posant clairement comme une minorité qui doit rendre des comptes à la norme hétérosexuelle. Si le coming-out est une affirmation de son identité, elle est aussi en soi une manière d’assurer/de reconnaître la prédominance hétérosexuelle, en affichant une certaine soumission par le fait même de faire la démarche d’ « avouer », de « révéler ». Comme si c’était un symptôme, comme si ils « devaient savoir ».

« Le risque suicidaire pour les personnes LGBTQ est en moyenne 4 fois supérieur à celui du reste de la population. » – Nicolas Rividi, Inter-LGBT.

La nécessité sociale du coming-out assoit la pression sociale liée à l’affirmation de sa sexualité. On se doit de rendre des comptes, de clarifier son identité. Sans compter qu’une sexualité peut évoluer au fil des ans, ce qui rend totalement incensé un coming-out. Imaginez par exemple une personne faire son coming-out en tant qu’homosexuel, et finalement tomber amoureux du sexe opposé quelques années plus tard. Il devra encore justifier de son identité et de son orientation, décrédibilisant davantage la cause LGBTQ+ aux yeux des personnes les plus réticentes à l’origine.

Faire son coming-out finalement, c’est rendre le verdict, ce sont les résultats du loto qui tombent. Faire son coming-out, c’est faire de son orientation sexuelle un événement.

Alors vous allez me dire, « Mais ils faut bien leur dire de toutes façons ! Ils vont bien le savoir à un moment ou à un autre ! ». Certes, vos proches seront probablement au courant de vos partenaires – dans les cas où vous en décidez ainsi. Je ne dis pas « Pour vivre heureux, vivons cachés » ! Pas du tout. Ce que je veux dire, c’est que justement, il faudrait abolir cette nécessité de faire officiellement son « coming-out », abolir cette logique de dissimulation/révélation de l’identité sexuelle. Que quelqu’un soit en couple avec un homme, une femme, qu’il fasse l’amour avec un homme, une femme, peu importe.

« Les raisons du suicide chez les jeunes homosexuel-le-s étaient dues à 64% à la précarité et la peur de se confronter au regard des autres. » – Sénat 2013, via Libération.

Le coming-out est un non-événement. S’il en existe un (de coming-out), il est intérieur, il est personnel. La décision de faire officiellement son « coming-out » ou non est bien sûr personnelle, chacun est libre d’affirmer sa sexualité comme il le souhaite, mais cela ne devrait pas se poser comme une étape à franchir quand une personne se rend compte qu’elle déroge à la règle établie.


« Je suis sûr-e que celui qui a écrit cet article est homo. Nan mais attends c’est sûr, on n’écrit pas ça comme ça, ça cache forcément quelque chose… »

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Anonyme.

Sources :

« Les homos se suicident plus : une campagne choc pour prévenir« , Nouvel Obs.

« En finir avec le suicide chez les jeunes homosexuel-le-s« , Libération.

Mythologica.

Travaux de la photographe Zanele Muholi, Black Queers

Giphy

Crédits images :

Une – Deux femmes courant sur la plage, Pablo Picasso

« Prokustes » : Réseau international.net

Affiches 2015 de la campagne de sensibilisation au suicide LGBTQ par l’Inter-LGBT

Cyanide and Happiness

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