le personnage principal, féminin, a le visage tourné vers nous de trois quart, en gros plan

La Quinzaine #17. C’est du lourd

La Quinzaine répertorie les tops culturels de la rédaction ! Voici les recommandations de Scarlet cette semaine :

1. Dans le jardin de l’ogre, Leïla Slimani

#littérature
couverture livre dans le jardin de l'ogre leila slimani

Elle voudrait « qu’ils l’aiment et qu’ils lui [soient] redevables ». Un sexe au fond de la gorge, elle « réprime son envie de vomir et de mordre ». « Elle se sent belle et déteste l’idée que sa beauté soit inutile, que sa gaieté ne serve à rien. » Parfois, elle voudrait « résister à ces mains qui [l’enlacent], à ce regard vitreux, à cette haleine lourde ». Si souvent « seule face à la banalité d’une fermeture éclaire, au prosaïsme d’une paire de chaussettes, aux gestes maladroits », elle « se [trompe], inévitablement, de priorité. »…

Une fois cette « histoire d’un corps esclave de ses pulsions que rien ne rassasie » mise entre mes mains, je n’ai rien pu opposer à l’irrépressible envie d’arracher à ce livre sa substance. Frappée par la justesse froide de la plume de Leïla Slimani, je me suis mise, peut-être de manière aussi compulsive que les ardeurs d’Adèle, le personnage principal, à recenser sur le moindre carnet à portée de mes mains (nombreuses) les phrases qui m’ont touchée.

Ni réductible au simple portrait d’une femme nymphomane, ni à l’analyse des travers d’un couple en apparence modèle, Dans le jardin de l’ogre est un trésor de subtilité. On y découvre page après page une pelote de laine pleine de réalité, livrée au lecteur.trice sans mode d’emploi, avec une sincérité déconcertante. Difficile de résister à l’impatience d’avaler ce livre, à toute heure du jour et de la nuit, pour se guérir de l’angoissante question de savoir si Adèle, attachante, incompréhensible, saura se sortir des nœuds inextricables dont elle est prisonnière. Elle qui « essaie d’arriver quelque part, […] prise d’une rage infernale » nous mène avec elle dans l’œil de son cyclone.

2. « The Good Place », Netflix

eleanor est assise devant un mur disant "Bienvenue ! Tout va bien"
#série

Avec des épisodes de 20 minutes, « The Good Place » est LA série facile à picorer comme à binge-watcher. « The Good Place » prend place dans un univers totalement décalé, mais qui tombe toujours juste. Disponible sur Netflix, cette série américaine n’est rien moins qu’un petit bijou des familles. Et pourquoi me direz-vous ? Et bien Fred, c’est très simple. Elle est tout ce que l’on peut attendre d’une série : drôle mais pas bête, philosophique mais pas cérébrale, surprenante mais pas trop perchée (mes pensées vont aux spectateur.trices de la saison 3 de « The 100 »).

Car oui, au fait, nous suivons l’histoire d’Eléanor, une femme surprenante, qui après une mort malencontreuse se retrouve au Paradis (« The Good Place »). Petit souci… Elle n’a rien à y faire ! Je vous laisse dévorer la suite, d’une intelligente absurdité.

Par ailleurs, les acteurs sont terriblement géniaux, en plateau comme dans la vraie vie. N’hésitez pas à suivre par exemple Jameela Jamil – Tahani – sur Instagram, qui, en plus d’être drôle et d’avoir un accent anglais tout à fait adorable, prône l’acceptation et la confiance en soi sur le compte @i_weigh.

3. « Shéhérazade », Jean-Bernard Marlin

le personnage principal, féminin, a le visage tourné vers nous de trois quart, en gros plan
#cinéma

« Shéhérazade », c’est une histoire d’amour entre deux jeunes Marseillais, deux camarades de collège qui se retrouvent au hasard d’une passe, un délinquant sorti de prison et une prostituée qui suce encore son pouce. « Shéhérazade » est une de ces histoires d’amour qui changent les êtres qui les vivent, qui les rendent meilleurs.

Shéhérazade et Zach vivent un amour sans concession, un amour qui exige des actes, des choix, des sacrifices, une remise en cause de ses préjugés. Le jeune héros transforme son regard sur le monde grâce à la rencontre du regard de Shéhérazade qui le fait entrer dans son monde à elle, devient son refuge et son port d’attache.

Et si ce film est le meilleur de la rentrée selon moi c’est pour une multitude de détails dont je ne parviendrais pas à faire la liste exhaustive. Pour le regard qu’il porte sur les prostituées, qui prennent Zach sous leurs ailes, lui qui affirme au début du film qu’il « respecte les femmes, mais pas les putes ». Pour les chevauchées à scooter dans les rues de Marseille. Pour les acteurs grandioses issus d’un « casting sauvage » à la sortie des prisons et des foyers. Pour le parlé de ce film qui nous donne une jouissance des mots, des expressions et de la manière dont ces jeunes posent leur voix. Pour la justesse avec lesquels les thèmes sont traités. Pour l’insouciance des voleurs. Pour l’universalité de la difficulté à dire « je t’aime ».

4. « Les Chatouilles », Andréa Bescond et Eric Métayer

#cinéma

« Bien, on va aller dans ta salle de bain, mais attention, on va le dire à personne ! Parce que moi, je viens jouer avec toi, car tu es toute seule… viens ma chérie. »

Les Chatouilles.

Odette a huit ans, et Gilbert est un ami de la famille. Comment ses parents pourraient-ils se douter de ce qu’il se passe ? Comment cette enfant pourrait-elle dénoncer ce Gilbert banal, normal, comme tout le monde ?

La situation s’ancre. Gilbert continue, Odette se retrouve piégée. Impuissance, puis danse, pour expulser, crier, et saisir le moindre spectateur, le tenir par le corps, le faire vibrer, l’amuser même. C’est cette histoire, son histoire, qu’Andréa Bescond a racontée pendant plusieurs années dans une pièce de théâtre émouvante, récompensée d’un Molière en 2016.

Ce spectacle est un combat, qu’Andréa Bescond mène avec rage en invitant les politiques au théâtre ou en militant pour étendre le délai de prescription. Il ne manquait plus que le film pour continuer à éveiller les consciences et libérer encore la parole des victimes. Elle l’a réalisé, elle l’a monté et elle y joue son propre rôle de femme blessée par ses souvenirs. On verra dans ce long-métrage onirique Clovis Cornillac en père désemparé, Karin Viard en mère inquiète du qu’en-dira-t-on, Gringe en tendre loustic, tout en se délectant de quelques pics lancés délicatement contre l’hyper-sexualisation des danseuses ou les caricatures grossières du « jeune de banlieue ».

5. Le Diable au corps, Raymond Radiguet

#littérature

« Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? (…) Que ceux qui déjà m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »

Le Diable au corps, R. Radiguet

La première guerre mondiale, dépeinte à la première personne comme « quatre ans de grandes vacances » par François, un jeune homme de 15 ans, prétentieux, cynique, calculateur mais terriblement adorable et entiché de la fiancée d’un poilu, Marthe, de quatre ans son aînée.

J’espère que ce seul pitch vous donnera envie d’ouvrir ce court roman dont deux nuits viennent à bout, mais dont on ne ressort pas totalement indemne. A la croisée de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette par sa fine analyse des sentiments amoureux, et du Grand Meaulnes pour sa description d’une jeunesse pas si naïve, Le Diable au corps est une ode à l’amour passionnel qui se place au dessus des conventions sociales, sans pour autant tomber dans un romantisme mièvre.

Dans une perspective féministe, on aimerait que Marthe s’empare à son tour du récit, elle qui place cette passion mortelle au dessus de la vie qu’elle ne s’est pas choisie, « peut-être médiocre, mais pleine de quiétude ». Raymond Radiguet laisse le soin à votre imagination d’écrire ce second roman du point de vue de Marthe, et nous laisse entrevoir dans les mots parfois cruels, parfois tendres de François, la personnalité haute en couleur de cette jeune femme : « assez intelligente et assez amoureuse pour savoir que le bonheur ne réside pas dans la considération de ses voisins, elle était comme ces poètes qui savent que la vraie poésie est chose maudite, mais qui, malgré leur certitude, souffrent parfois de ne pas obtenir les suffrages qu’ils méprisent. »

Colette, Raphaël, Marie-Lou, Fiona.

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