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La Quinzaine #15. Alternatances

« Alternatances », mais que diable que ce mot, qui n’a de sens que pour son autrice ? Mélange salé des rituelles vacances, d’un petit peu de ce qu’on appelle alternatives, et d’une grande dose d’itinérance, ce titre et cette idée sont nés de ma fugue en grand Nord (français), poursuite de moi-même qui s’étire entre Normandie et Bretagne, culture glanée au gré des grands vents, des rencontres, des hasards qui fleurissent en été…

1. L’autostop !

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Crédits Colette Crétin.

#moyen de transport

Source permanente de culture et d’ouverture d’esprit, le stop – et ce que j’y vois de libérateur – c’est pour moi une porte vers le grand dépaysement, même à deux pas de chez moi. C’est en stop que j’ai rencontré les gens les plus différents de moi, de ma culture, de mes idées, et avec qui pourtant j’ai appris à échanger. C’est en stop que je glane la plus grande diversité de conseils, d’idées, de contact avec des vrais gens. L’autostop, c’est intergénérationnel, c’est trans-classes-sociales, c’est international. C’est gratuit aussi, alors certes, on doit apprendre à prendre son mal en patience, mais on arrive toujours au bout (croyez-moi). Seulement, en stop, on jalonne sa route de détours qu’on n’aurait jamais eu l’idée (la possibilité ?) de faire avec un autre moyen de transport. Partir en stop, c’est redéfinir le voyage, le tourisme. Oui, parce que d’un coup, le trajet n’est plus une contrainte, un truc à compresser au maximum, un mauvais moment à passer, non. Au contraire, le trajet, c’est le voyage, c’est ce qui rend le voyage intéressant. On peut avoir un but, mon but, cette fois, c’était de voir les paysages de la Hague et de faire le tour de la Bretagne… Oui, mais moi je ne connais pas la Hague, je ne connais pas la Bretagne, alors quoi ? Aller sur Internet, pour finalement fouler la même rue de la même ville que tous les autres touristes du même hôtel cher où je risque de m’ennuyer ferme, seule, puisque je voudrais partir seule ? Mais alors, comment rencontrer des locaux, autre que le vendeur de crêpes ?

En choisissant le stop (et la tente, et l’itinérance), je choisis de prendre le risque de découvrir ce à quoi je ne m’attends pas. Je tente de toucher du doigt la (les ?) réalités des territoires que je traverse. Et comme je me connais pleutre, je m’impose d’aller vers les autres, de sortir de mon terrier, de tendre le pouce.

Je sais que le principal risque auquel je me confronte, c’est d’être (con-ti-nu-el-le-ment) mise en garde. Parce que je suis une fille, parce qu’avec tout ce qu’on voit aujourd’hui, parce que « vous n’avez pas peur ? », parce que je suis vulnérable… ça, c’est vrai, c’est un côté pesant. Pas de risquer d’être découpée en morceaux et jetée dans une mare sombre, non ! Mais qu’on me le répète sans cesse, ça, ça fait peur, ça use, ça rogne la détermination. On ne le dirait pas (moins) à un garçon. D’ailleurs on ne prend pas les garçons, on en a peur.

Bref, j’écrirai sur l’autostop plus longuement à l’occasion, mais en un mot, femelles, faites du stop. En plus de 7 ans de pratique, il ne m’est rien arrivé de traumatisant, mais j’y ai rencontré des dizaines et des dizaines de gens qui m’ont éclairé la vie pour un moment, certains sont devenus de bons amis. En une soirée apparemment safe, en rentrant simplement chez soi, un soir, au mauvais endroit, au mauvais moment, j’en connais qui restent traumatisées à vie.
Le parallèle est vite fait.
Mais allons-y, partons, à bout de pouce, vers la première étape : La Hague !

2. Les Déferlantes, Claudie Gallay

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#littérature

« La Hague… Ici on dit que le vent est parfois tellement fort qu’il arrache les ailes des papillons. Sur ce bout du monde en pointe du Cotentin vit une poignée d’hommes », raconte le résumé Babélio… Ce livre a ensorcelé ma jeunesse, il a toujours trainé dans mes placards, je l’ai lu plusieurs fois. On a le vent dans la gueule rien qu’en tournant ses pages, le vent rude de La Hague, que j’ai voulu connaître de mes propres yeux, lassée de me les abimer à relire encore et encore le bouquin. Les déferlantes, et son adaptation en téléfilm, c’est quelque chose à vivre, au moins une fois dans sa vie.
Ça y est ? Vous y êtes ? Vous avez lu ? Vous avez vu Les Déferlantes ? Vous les avez imaginées, ces vagues tonitruantes qui tyrannisent la falaise en rugissant, et qui pourtant ne sont rien qu’un seul élément de l’univers lourd d’humidité salée que décrit Claudie Gallay ?

Bon… Alors quand vous en serez là, faites comme moi, je vous le conseille. Allez planter vos oreilles entre les hurlements des goélands. Mettez vos sens à l’épreuve de la Hague et de ses gens, les vrais. Vous tenterez peut-être, comme moi, de vous réfugier une minute, de vous repaître de la marche épuisante que les rochers saillants vous ont imposés… Vous n’y parviendrez pas. Où que vous soyez, le vent et vos pensées vous rattrapent.
Avec un peu de chance, vos ailes de papillon à vous seront assez solidement attachées pour que le souffle intense des Déferlantes vous pousse, comme moi, vers l’envol plutôt que vers la chute.

3. Pirouésie

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#festival

C’est justement en courant après la Hague que j’ai eu le bonheur d’être prise en stop par de drôles de belges, qui se sont présentés comme Pirouésiens… WTF ?
A Pirou, petit village de bord de mer situé dans la Manche, se situe chaque année un festival qui leur est cher : Pirouésie. Pirouésie, c’est de la poésie entre copains, avec quelques nouveaux chaque année (12 années de festival quand même !), mais c’est un genre particulier de poésie : l’OuLiPo.
L’OuLiPo, on lira sur wikipédia que ça veut dire « l’Ouvroir de littérature potentielle, généralement désigné par son acronyme OuLiPo (ou Oulipo) » et que c’est «un groupe international de littéraires et de mathématiciens se définissant comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ».
Bon, moi ce que j’en ai vu de ce festival, où je me suis invitée le temps d’une journée, c’est que l’on y apprend mille chose à la seconde, c’est qu’en jonglant d’une conversation à une autre, on en ressort les bras chargés de conseils, d’idées, la tête toute pleine de nouveautés ravissantes ! Et puis surtout, à Pirouésie, on y trouve une diversité délicieuse d’ateliers d’écriture, en particulier des ateliers d’écriture « à contrainte »… L’écriture à contrainte est justement l’invention du mathématicien François Le Lionnais, et du cofondateur du mouvement, l’écrivain et poète Raymond Queneau. L’idée de contraindre est de produire de nouvelles structures destinées à encourager la création.
Et ça marche ! Enfin, pour moi, ça a marché ! Une déflagration d’imagination dans mes blocages d’écritures, ce festival !! Renseignez vous ! Essayez ! Allez rejoindre ces Pirouésiens un peu fous, c’est finit pour cette année, mais ça se repasse l’été prochain à Pirou, et l’année d’après !

4. « La fille de Brest », réalisé par Emmanuelle Bercot

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#cinéma

En mettant un premier pied en Bretagne, je suis tombée sur une voiture de médecins… Un couple, de Brest, qui m’ont confié connaître bien la fameuse « Fille de Brest »…
Adaptation du livre « Mediator 150 mg : combien de morts ? » de la pneumologue Irène Frachon, du CHU de Brest, « La fille de Brest » retrace sa lutte pour révéler ce qui deviendra l’affaire du Mediator et dénoncer les risques de ce médicament commercialisé par les laboratoires Servier. Jouée par Sidse Babett Knudsen comme une femme bienveillante jusque sous le feu du scandale, l’Irène Frachon du film représente pour moi le symbole d’une femme forte, battante jusqu’à gagner son combat… Ce film, on en ressort avec la démangeaison rageuse de soulever des montagnes. Voyez vous même ici.

5. La compagnie Jolie Môme

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#musique

C’est parce que leurs chansons trottent en rythme durant mes pérégrinations autostopo-pédestres qu’il me presse de vous les partager. Collectif engagé, drapeau rouge au poings et chants révolutionnaires au bout des lèvres, les filles et les garçons de Jolie Môme reprennent, inventent, jouent, théâtralise leurs chants. Présents sur de nombreux festivals, événements politiques et zones de lutte, ce collectif s’attache, et c’est notable, à féminiser les grands noms des chansons engagées. Si vous les croisé cet été, vous serez ravis d’écouter une reprise de la chanson « Je suis fils », de Corrigan Fest, changée en « Je suis fille », et avec brio ! Écoutez, réécoutez, découvrez aussi « Sans la nommer », je vous assure qu’elle donne l’allant de marcher d’un bon pas, même sous la canicule, et même sous la tempête !

6. Les délices de Rueil

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#boulangerie

Puisque j’en suis à mon éloge de l’autostop, il me faut rendre hommage à un anonyme conducteur de voiture, qui m’a longuement discuté de la boulangerie qu’il gère, à Rueil Malmaison, en me faisant promettre d’y faire un tour ! Alors, moi qui ne suis pas parisienne pour un sous, je fais passer le mot, allez goûter son pain !

7. Les passagers du Roissy-Express, François Maspero

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#littérature

« Tu peux toujours prendre l’air compétent et professionnel pour annoncer qu’à Shanghaï il y a deux mètres carrés de logement par habitant, mais que sais-tu de la manière dont on vit à une demi-heure des tours de Notre-Dame ? Tu te moques de tous ces gens qui vont faire un petit tour en Chine et qui en rapportent un livre, mais toi, que serais-tu capable de rapporter de La Courneuve ou de Bobigny-Pablo Picasso où mènent les métros que tu prends tous les jours dans le pays où tu vis (…) es-tu jamais descendu, rien que pour voir, à Sevran-Beaudottes ou aux Baconnets, ces stations où tu passes si souvent, depuis tant d’années…. » François Maspero

Le François en question ne s’est pas contenté de l’écrire, il l’a mis en pratique ! Parti plus d’un mois de chez lui, valises en main et larme à l’œil, il s’est lancé à la découverte de 38 stations du RER Roissy-Express, comme lors d’un « vrai » voyage. L’auteur de ce croustillant récit de voyage s’est attaché à chercher logement, nourriture et rencontre dans chacune des gares. Bouquin qui se dévore !

8. Laboratoire de tourisme expérimental

#fun

Pour terminer en beauté, voilà que je vous livre une formidable mine d’imagination… Latourex ! Pour celles et ceux qui me liront et qui seraient en mal d’idée de voyage (petit ou grand, le voyage), courrez vite vous régaler de ce site qui répertorie librement des tas d’expériences loufoques en matière de tourisme à contrainte. Pour regarder le monde qui vous entoure avec d’autres yeux, laissez-vous tenter par le « cécitourisme » par exemple, qui consiste à « explorer une ville inconnue les yeux bandés, guidé par une personne de confiance ». Pour les amateurs de sensations fortes, que diriez vous du « gynomtourisme », qui se définit comme tel : « Se dit du naturisme quand il est pratiqué à l’occasion de la visite d’un site remarquable : musée, abbaye cistercienne, champ de bataille, grotte préhistorique… » ? Les insomniaques préféreront le « nyclatlotourisme » : « se rendre dans une ville inconnue en s’arrangeant pour ne l’atteindre qu’au crépuscule. Puis l’explorer toute la nuit avant de la quitter au point du jour suivant »…
Il est possible, pour les porteur.euse.s d’idée lumineuse, de proposer son mode de tourisme original !
Si toi, toi ou toi, lecteur ou lectrice de Scarlet, venait à tester l’une de ces techniques révolutionnaires de voyage, surtout raconte le nous, nous te publieront peut-être sur Scarlet !

Bon mois de septembre à tous et à toutes !

Colette.

Sources

Les Déferlantes, Claudie Gallay, Edition du Rouergue, 2008

Festival Pirouésie

« Le fille de Brest », Emmanuelle Bercot

Collectif Jolie Môme

Boulangerie les délices de Rueil

Les passagers du Roissy-Express, François Maspero

Latourex

Crédits images :

2 réflexions sur “La Quinzaine #15. Alternatances

    1. En effet, tout le monde a droit à ses vacances, y compris nos webmastrices !
      L’article a-t-il perdu de sa valeur à vos yeux avec ce contre-temps ? 😉
      Merci en tout cas de passer par ici et de prendre le temps de nous lire, ça fait très plaisir !
      Scarlet

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