Féminisme Import/Export

« Je suis féministe ». T’avais pas trop envie que ça commence comme ça. Tu sens bien que ce mot, c’est un terrain glissant. Ce mot, ça catalogue comme un aimant. Et t’aimes pas trop qu’on te colle dans une case. Je crois que ça ne botte personne, d’être enfermé dans un concept. Sinon on aurait cessé de se battre contre les clichés, et depuis belle lurette ! Et puis pour commencer, qu’est ce que ça signifie, être féministe ? Avoir essuyé une larme devant « Les Suffragettes » ? Être engagé ? Brandir les bannières ? Exhiber ses poils aux aisselles pour les filles, un large sourire en faisant la vaisselle pour les garçons ? Est-ce qu’il faut s’énerver ? Est-ce qu’il faut injurier, détester, se rebeller ? Ou faire l’unanimité ? Les pro- contre les anti-, les vrais, les faux, les extrêmes, les passifs… J’en ai la tête qui tourne, je suis paumée. C’est grave docteur ? Concrètement… Par exemple, est-ce qu’on peut être féministe et beauf, ou faut il nécessairement se convertir à la caste du bobo ? Non parce que troquer les brochettes devant un bon match de rugby contre le toast de tofu au vernissage de Barnabé De-Charrière-de-Lorédubois, y en a que ça rendrait malade. Et je ne leur donne pas tort. C’est presque se déguiser en aviateur pour qui rêve de devenir agriculteur. Ce que j’entends par là, c’est qu’il n’est pas toujours facile de s’intégrer dans un combat en restant complètement soi. On est aisément relégué à l’état d’égérie d’un stéréotype. Et tant de complications peuvent quelques fois ébranler ton entrain. A propos du féminisme, pour ma part, le défi de m’affranchir de tout cliché est encore loin d’être relevé. Mais il se trouve qu’au cours de mon petit crochet par le Burkina Faso, j’ai décidé simplement de cesser une seconde d’y réfléchir, et de regarder autour de moi.

Les idées claires pour alléger mon sac à dos

Finalement, il m’a semblé bien simple de prendre une photo, de discuter avec les principales intéressées, de tâcher d’évincer toute forme de jugement. Plutôt que de m’échiner à deviner ce qu’il serait le plus approprié de penser, ce pour quoi il vaudrait mieux lutter, plutôt que de m’immiscer dans la complexité de courants de pensées féministes, je me suis contentée de récolter un aperçu de ce que peut représenter le quotidien d’une femme en brousse. Être une femme, ça commence par être une petite fille. Celles qui partagent mon quotidien, ce sont Grâce, Bernadette et Monica, ce sont des collégiennes. Ce dont je suis certaine à leur propos, c’est qu’elles excellent dans l’art de la marelle. Et admirez (je vous prie) l’aisance avec laquelle elle sont capables de maintenir un caillou en équilibre sur le dessus du pied ! Je vous mets au défi de les imiter ! Bon je dois admettre que je serais vexée que vous y parveniez, quand je me suis tant entraînée en vain… Mais là n’est pas le cœur de mon propos ! Je voulais arriver à leurs tâches quotidiennes. Non qu’elles soient critiquables, je ne me permettrais pas, mais elles diffèrent drôlement de celles que j’ai connues à 13 ans, et par ailleurs, il se trouve qu’elles diffèrent également des corvées des garçons. Le soir où leur grand frère a le droit de sortir festoyer au bal du lycée, les jeunes filles elles, ont encore le bébé à garder, la cuisine à préparer, les sachets de bissap pour le jour du marché à emballer… – le bissap, c’est un genre de breuvage miraculeux, qui à base de fleurs d’hibiscus rendrait l’usage de la voix au plus asséché des assoiffés. Et pour finir, la nuit tombée, encore un peu de linge à laver. La dernière scène filmée me semble représentative : bien que dépourvues d’électricité, les filles demeurent fidèles au poste, sagement, sans fléchir, et avec le sourire ! En grandissant, se posera la vaste question du mariage. Est-on prête à se convertir, si survient le malheur survient de s’amouracher d’un pratiquant d’une autre religion? La question reste posée. Le choix repose en grande partie sur les familles. Sur ce débat, ni l’un ni l’autre des amants n’aura la main. Il faut simplement choisir : ou bien accepter humblement la décision de ses parents, ou bien tenter de s’émanciper, de s’installer en ville, de quitter ses repères. Mais là où le bat blesse, c’est lorsque mes conversations s’enfuient vers les valeurs. Et oui, eux et moi, nous n’avons vraiment pas les mêmes valeurs. Quand la liberté est pour moi une quête absolument nécessaire, ce sera la famille et son soutien précieux qu’un burkinabé jugera moralement supérieure. Sans une famille, on n’est plus grand chose. Une famille, en cas de coup dur, ça vous sauve un homme. La liberté, ça ne se mange pas.

Du trash, du choc, du révoltant que diable !

Je pourrais parler d’excision, je pourrais compter le nombre d’heures passées au travail pour les femmes. J’aurais probablement de quoi remplir un catalogue d’anecdotes croustillantes. Ah, mais qu’elles sont belles, nos victoires sur la barbarie ! Comme on est bien chez nous en France, en comparaison à ces pauvre petites créatures féminines malmenées à tord et à travers, au travers (justement) de toutes ces traditions saugrenues qui placent les hommes bien au dessus. Ces femmes doivent être tellement malheureuses, c’est inconcevable, mais quelle vie, ce n’est pas viable. On les mutile, on les asservie, elles sont dociles. Mais tout compte fait non, je préfère ne pas me la jouer mélodrame. Le quotidien des femmes que je côtoie est loin du mélodrame. Ces femmes s’enthousiasment, ces femmes apprennent, ces femmes s’amusent, ces femmes de 7 à 77 ans gardent la pêche, envers et contre tout. Elles ont bien peu d’instants pour elles, mais savent les faire fleurir de sourires et de partage. Ces femmes là mènent leur combat. Mais pas à pas, pas de révolution en vue. Ces femmes là ne se demandent pas si elles sont féministes. Elles jouent leur rôle. Elles trouvent leur place. Parfois c’est vrai, elles se laissent guider à leur place. Elles acceptent ce que je n’accepterais pas. Pourtant, dans le respect des règles de la culture qui leur est propre, elles s’affirment. Un peu à la fois, elles découvrent leurs droits, ce qu’en dit la loi. Et sans brusqueries, sans s’offenser, sans s’insurger, elles façonnent leur place, à leur image. Les idées préconçues dans notre pays déjà font des ravages. De grâce, ne les exportons pas. Laissons au bon sens le soin de réévaluer l’égalité chez les autres. Et peut-être pourrons nous alors nous en inspirer?

Colette Crétin

Crédits photos et vidéo :

©Colette Crétin

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